Nos études musicales et chorégraphiques nous condamnent-elles à l’apolitisme ? Doit-on laisser nos convictions, nos embryons d’idées, nos colères, nos révoltes et parfois nos combats à la porte du conservatoire chaque matin, en espérant les retrouver intactes le soir ? L’architecture du conservatoire a été pensée dans l’ouverture. Il y a des portes partout… mais elles sont fermées. « Nul n’entre ici qui n’a pas son code-barre » est-il écrit en lettres rouges à l’entrée. Et pour aller travailler, on s’enferme dans des studios sans fenêtres, image très parlante de cette manière de se couper du monde. On manque d’air, et on croit qu’on est seul·e dans ce cas-là. Avec la mobilisation contre la réforme des retraites de l’an dernier, et toute la dynamique ouverte par la Crécelle, on s’est mis à respirer un peu mieux, et à comprendre qu’on n’avait plus à rester chacun·e de son côté. Chacun·e entretient un rapport propre à la politique. Rapport intimidé, passionné, intime, tiraillé, de rejet, déterminé, intermittent… Les milieux de la danse et de la musique nous invitent à mettre ce rapport en sourdine pour mieux se concentrer sur ses gammes, ses sons filés ou son cou-de-pied. Nous préférons prendre ces rapports, avec les doutes et les dilemmes qui les accompagnent, comme un terreau riche et fécond qu’il faut cultiver collectivement.
Ce que propose La Crécelle
Aller ensemble en manifestation (c’est plus sympathique, plus dynamique – plus sûr aussi – en groupe) ; organiser des concerts de soutien ou jouer, chanter, danser sur les piquets de grève de luttes que nous soutenons. Tout ce qui se vit dans les luttes secoue les limites de nos pratiques esthétiques…
Réfléchir ensemble, à l’oral et à l’écrit, aux liens entre vie politique, vie sociale et vie artistique, via l’écriture de notre journal, la préparation des Causeries et le partage de cafés politiques.
Ouvrir un espace d’expérimentation artistique original, né de nos complicités politiques. Beaucoup d’ensembles musicaux ont vu le jour dans la perspective de prendre place dans le monde musical tel qu’il est, nous nous réclamons d’une perspective inverse : se faire une place dans le monde tel qu’il n’est pas.
Ce qu’est La Crécelle
Un brillant barbu révolté a un jour dit que l’égalité « c’est justement de pouvoir se consacrer à autre chose qu’à sa propre affaire ». On voudrait nous faire croire que notre propre affaire – l’art, la musique, la danse – nous situerait en-dehors de la société, voire au-dessus d’elle. Les grèves pour les retraites, les salaires, les licenciements, tout cela ne nous regarde pas. Comme si nous nous nourrissions de notes et d’eau fraîche, la puissance de notre génie nous garantissant une longue survie en autarcie. Quittons cette prétendue place d’artiste. Non seulement en prenant part aux différents mouvements sociaux, qu’ils nous concernent directement ou que nous choisissions de les soutenir ; quittons-la aussi en osant produire des discours et des réflexions. Le journal est là, comme interface et comme caisse de résonance. Il a pour but d’accueillir les écrits sans distinction de légitimité, comme un apprentissage collectif en acte.
Parmi les idées qui mijotent dans la Crécelle, on trouve de l’anarchisme, du communisme, de l’écologie politique, du féminisme, du trotskisme, du zadisme, ces idées circulant à leur guise et cohabitant volontiers au sein du groupe (ou même des individus !). Elles sont, selon les personnalités et les parcours, à l’état de curiosité tâtonnante ou de convictions bien chevillées. Certain·e·s des membres de la Crécelle ont des expériences militantes, politiques ou associatives, d’autres font dans ce domaine leurs premiers pas, et ensemble nous prenons soin à ce que tout le monde se sente à l’aise, libre et légitime à prendre part aux discussions et aux décisions. À partir du moment où vous avez de la sympathie pour les idées de La Crécelle et que vous avez participé à une de ses activités (la participation aux manifestations, l’écriture, la correction, la pagination, l’agrafage du journal, l’organisation des causeries…) vous pouvez vous considérer (si ça vous chante) comme membre de la Crécelle et prendre la part que vous voulez dans son développement.
La Crécelle est un collectif dans lequel les sensibilités, les degrés d’implication de chacun·e sont différents. C’est cette diversité des parcours politiques qui rend cette expérience enthousiasmante, et elle ne nous a, à notre propre étonnement, encore jamais posé de problème. Nous vous invitons à venir entretenir ces liens d’altérité.
Nous invitons toute personne souhaitant prendre part au développement de la Crécelle à nous écrire, à venir nous parler, à venir à nos rendez-vous, à prendre un café.
Un pied en dedans, un pied en dehors !
La Crécelle s’est formée parce qu’un mouvement social de grande ampleur a bloqué Paris. C’est bien la force d’un mouvement politique qui a créé cette dynamique chez des étudiant·es du conservatoire. Maintenant, c’est la rentrée, la dynamique sociale n’est pas la même, et l’ambiance est plutôt covidée… Tout ce que nous avons vécu ces derniers temps nous donne envie de nous adresser aux autres étudiant·e·s du Conservatoire pour qu’ils rejoignent un processus collectif de mise en commun. Mais cela ne suffit pas, il nous semble également primordial politiquement de s’adresser aux musicien·nes, danseur·ses et artistes qui ne sont pas présent·es dans cette institution. La Crécelle ne pourra être une aventure politique et artistique intéressante que si elle brouille et reconfigure les séparations du monde actuel. L’appel de ce journal s’adresse aussi à toutes celles et ceux qui se posent des questions en fréquentant d’autres établissements d’enseignement supérieur de musique et de danse, aux professeur·es de conservatoire et d’école de musique, aux musiciennes et musiciens d’orchestre, aux intermittentes et intermittents du spectacle, aux travailleuses et travailleurs des institutions culturelles, aux danseuses et danseurs de compagnies et à celles et ceux qui préfèrent vivre précairement plutôt que d’intégrer certains circuits de diffusion. La Crécelle s’est formée dans la joie des luttes partagées. Un collectif comme celui-ci ne peut prétendre prendre part aux affaires du monde que par le mouvement interne qu’il propose et dans les alliances qu’il tisse.
Musicien•nes et Danseur•euses de tous pays,
écrivez-nous/vous !