« Bonjour à toutes et à tous,
Je suis étudiante au Conservatoire National de Musique et Danse de Paris depuis 4 ans déjà. J’étais partie pour faire une scolarité toute discrète : je rasais les murs en mettant sous le tapis mon inconfort avec l’institution, et je cachais même que je jouais de la musique traditionnelle dans les bars pour ne pas faire tache.
Et puis il y a eu la mobilisation contre la réforme des retraites il y a un an où j’ai rencontré des gens formidables, également au conservatoire, avec qui le collectif La Crécelle s’est créé et à qui on doit cette agora aujourd’hui ! De l’organisation d’un concert de soutien aux conducteurs grévistes de la ligne 5 à des nuits d’écriture et de débats, la Crécelle m’a carrément extraite de ce que je pensais être ma place toute étriquée et individuelle au conservatoire.
Pour moi, ça a été incroyable de rencontrer des gens avec qui mettre des mots sur nos mal-être, sur nos questionnements. Échanger, crayonner, peinturlurer, agrafer, scander, chanter, bafouiller, raturer, polémiquer, pinailler, geeker, rigoler, cuisiner, je crois qu’il ne reste plus qu’occuper à rajouter à la liste de nos activités !
Avec cette nouvelle vague de mobilisation, il me semble qu’il y a un réel espace à prendre et à défendre, un espace et un temps rendus communs et je suis ravie qu’on s’y immisce (enfin !) pour rejoindre les luttes contre la précarité.
Alors ça me donne envie d’en profiter pour politiser nos insatisfactions, nos malaises. Interrogeons nos formations, dont on sait combien le rapport prof/élève peut être problématique, nos cursus figés où on est enfermés dans de petites boîtes sans avoir notre mot à dire et où on a trop peu de latitude pour expérimenter. Questionnons-nous sur nos pratiques – avec qui on joue, et devant qui ? Comment on s’organise ? Comment on dépasse les hiérarchies artistiques qui se sont organisées en hiérarchies politiques ? etc. On voit bien que ces schémas – tel celui de l’orchestre – qui nous paraissent parfois aller de soi ne sont pas neutres.
Profitons-en pour remettre en cause le sexisme profond dans notre établissement et dans nos milieux, et interrogeons-nous sur les parts que nous lui accordons encore dans nos ensembles, dans nos collectifs : pourquoi les femmes sont celles qui ont la charge de l’organisation de nos ensembles, ou qui travaillent à la prod’ pendant que les hommes assument tellement majoritairement la direction artistique ? Accorde-t-on réellement de la place artistique et décisionnelle aux femmes dans ces espaces, malgré nos prétentions féministes ? Comment accueille-t-on réellement leur parole ? Le sexisme, en voilà une culture qu’il serait bien de supprimer pour de bon !
Et puis peut-être qu’il serait aussi temps de remettre en question les grandes inégalités dans notre secteur entre les différentes esthétiques et entre les artistes eux-mêmes… Pourquoi est-ce que dans quasiment toutes les musiques autres que la musique classique, les budgets ne sont pas suffisants pour payer les heures de répétition, les déclarer en cachets et faire qu’ils comptent pour accéder au régime de l’intermittence du spectacle ? Pourquoi est-ce qu’on les dévalorise constamment en leur assignant des qualificatifs réducteurs : divertissement, légèreté… Comme si l’opéra et le quatuor à cordes étaient les seuls vecteurs d’Art avec un grand A !
Ces inégalités se situent aussi entre les artistes et autres acteurs de nos métiers (prod, diffusion, ingés son, régisseur.ses, ouvreur.ses…) et celles et ceux qu’on ne voit même pas : je pense aux femmes et hommes de ménage. Finalement en ouvrant encore nos manières de penser, et pour reprendre et finir sur un mot du Syndicat National des Arts Plastiques, on pourrait considérer en renversant les choses que : « les travailleur.ses sont des artistes comme les autres », et imaginer ce que lutter en conséquence signifierait. »