D’accord, désaccord, pour un contrepoint écologique

Réponse à notre brève « cadence rompue de l’écologie »

Partons d’un constat : celui d’une tendance courante à privilégier le registre polémique dans les échanges, en se polarisant rapidement et en rejetant des collectifs qui portent des idées qui nous semblent inadéquates plutôt que, dans un esprit de dialogue, d’aller vers un débat qui pourrait renforcer nos esprits et permettre, sinon de « tomber d’accord » avec les tenants de stratégies diverses, du moins de faire connaître et grandir nos pensées.

Prenons un exemple : on parle souvent d’un antagonisme supposé entre geste individuel et volonté de transformation systémique (entendons par transformation systémique une transformation qui intervient au niveau de collectivités : États, entreprises… et qui vise des entités dont une modification de fonctionnement et/ou de structure aurait une incidence importante et immédiate). On pourrait dire qu’il existe une « querelle » supposée entre ces deux modes d’action.

La Crécelle critiquait dans son troisième mouvement la tribune partagée par Cadence Rompue à cause de sa tendance à appuyer avant tout des gestes individuels plutôt que d’encourager une mobilisation plus radicale et politique pour des changements plus globaux. De son côté, Cadence Rompue semble prendre le geste individuel comme impulsion de départ qui mènerait à des modifications plus structurelles. On a peur que le geste individuel serve de couverture pour un greenwashing, on a peur que la confrontation à des entités trop puissantes décourage.

Il nous semble qu’une position dualiste aurait tout intérêt à être modérée. Ne serait-il pas plus pertinent d’éviter de classer les actions en deux catégories en systématisant la supériorité de l’une sur l’autre ?

En effet, entre divers collectifs comprenant des personnes sensibilisées aux problématiques sociales et écologiques à différents degrés, ne pourrait-on pas imaginer un esprit de dialogue et d’invitation plutôt que de construire des oppositions et des exclusions par les formes et les tons que nous employons ?

Tentons d’examiner nos communications à travers le prisme de l’effectivité. On peut alors observer la tribune de Cadence Rompue en se posant les questions suivantes : va-t-elle faire changer les comportements des lecteur·ices ? Dans quelle mesure va-t-elle mener vers des changements à plus grande échelle ? Là, intervient la critique de la Crécelle : elle vient poser ces questions qui semblaient invisibles dans la tribune.

En un sens, elle vient la renforcer et non l’annihiler, car elle vient enrichir son contenu : je peux penser à tous ces gestes individuels, mais je ne devrais pas ignorer la question de l’effectivité réelle de ces gestes, de l’impact réel qu’aura chez les gens la lecture de la tribune, des autres formes de mobilisation possibles.

La question posée à cette tribune pourrait se formuler ainsi : a-t-elle conscience d’entretenir, par sa forme, l’idée profondément individualiste et majoritaire selon laquelle on ne peut compter que sur soi pour changer ? On pourrait y ajouter la remarque qu’il y a un impensé dans un appel aux colibris : certaines structures ont plus d’impact que des millions d’individus — ainsi, il est remarquable que 100 entreprises soient à l’origine de plus de 70% des émissions de gaz à effet de serre1 et qu’1% des plus riches en émettent deux fois plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité.2

Mais on peut interroger la critique émise par la Crécelle sous cet angle : dans l’optique de faire exister des questions et des problématiques chez les lecteur·ices de la tribune de Cadence Rompue, s’y est-elle prise de la meilleure manière, la manière la plus effective ? Le ton employé est-il le plus apte à faire imprégner chez les lecteur·ices le message à faire passer ?

De ces interrogations qui font apparaître une certaine lecture de ces deux écrits, nous pouvons aussi tirer une autre observation : ces deux paroles fonctionnent ensemble, elles agissent ensemble. Elles ne sont pas liées uniquement par le fait que l’une est la critique de l’autre, mais parce qu’elles sont les émanations de deux pensées différentes qu’on peut lire à travers les prismes que proposent l’une et l’autre, et en ce sens elles se nourrissent mutuellement. Le présent article se propose aussi de venir enrichir cet espace en soumettant son propre filtre.

Ces paragraphes vous paraissent peut-être divaguer longuement sur deux textes qui n’ont pas eu un retentissement planétaire. En fait, nous aimerions exposer une idée plus large à travers ces observations microscopiques : toute action peut avoir une contribution positive à travers le nouveau kaléidoscope qu’elle propose, à condition qu’on se livre à une analyse consciencieuse sur son effectivité réelle.

Tout le monde n’en est pas au même point dans son cheminement de pensée, mais peut-on imaginer être les plus inclusif·ve·s possible et éviter de faire surgir un esprit de conflit là où peut avoir lieu une critique constructive ? Sommes-nous capables de débattre sans piqûre d’ego et de nous concentrer sur les idées à porter pour une plus grande effectivité de nos actions pensées comme conjointes et non plus antagonistes ?

Il ne s’agit pas ici de prôner un mou et tout le monde a un peu raison quelque parte mais d’inviter à des réflexions plus inclusives, qui pourraient mener à des actions plus effectives.

Face aux urgences auxquelles nous faisons face, toutes les bonnes volontés pourraient trouver une utilité.

Si certaines nous semblent naïves et inconscientes des rapports de force, du poids de structures telles que l’État ou les entreprises ou des inégalités d’impact, il serait intéressant de les inviter avec bienveillance à découvrir des pensées dont elles n’ont peut-être pas connaissance, à se pencher sur ces questions, à débattre, à s’interroger sur des possibilités d’actions avec nous. Et à constater si nos divergences supposées viennent d’impensés ou de visions radicalement différentes.

Nous pouvons explorer et trouver des voies effectives ensemble, plutôt que d’entrer dans des polarités qui construisent des obstacles à surmonter.

Si on imagine qu’une révolution est nécessaire, faut-il pour autant rejeter celleux qui vont dans le sens d’une évolution au lieu de leur laisser la porte ouverte pour rejoindre des mouvements plus radicaux ?

P.S. : Nous vous proposons quelques liens vers des études et articles qui nous semblent pertinents pour avoir quelques ordres de grandeur en tête :

– Un petit article de Bonpote sur le transport aérien :

– Le rapport de Carbone 4 intitulé « Faire sa part » sur les gestes individuels et leur impact (vous pouvez vous contenter de regarder les graphes si vous avez la flemme de lire) :

http://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2019/06/Publication-Carbone-4-Faire-sa-part-pouvoir-responsabilite-climat.pdf.

1Rapport de Carbon Disclosure Project (p.14) le classement : https://b8f65cb373b1b7b15feb-c70d8ead6ced550b4d987d7c03fcdd1d.ssl.cf3.rackcdn.com/cms/reports/documents/000/002/327/original/Carbon-Majors-Report-2017.pdf?1499691240, un petit article qui contextualise https://www.forbes.fr/classements/100-entreprises-responsables-rechauffement-climatique/

2https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/09/Resume-Rapport-Oxfam-Combattre-Inegalites-Emissions-CO2.pdf

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