Par un beau matin de printemps, où les occupations des lieux de culture perçaient çà et là la neige de la résignation, nous avons été invité·e·s à venir parler de nos soucis avec Madame la ministre Roselyne Bachelot.
Cette demande nous a surpris et interloqués, elle a suscité de précautionneux débats, pour trancher l’épineuse question : on y va ou pas ? Qu’est-ce qu’on y dira ? De se faire balader ne risque-t-on pas ?
Pour savoir si on veut parler, et ce qu’on veut dire, il faut savoir avec qui on parle. Roselyne Bachelot, en comparaison du reste du gouvernement, bénéficie d’une certaine popularité dans le monde de la culture. Et, par certains côtés, elle est moins antipathique que beaucoup de ses camarades de droite. Par exemple, elle a été, contrairement à eux, favorable au PACS et au mariage homosexuel, et avant ça, pour le droit à l’avortement, sans ambiguïté. Elle se dit féministe, et a même signé un livre avec Geneviève Fraisse, notre dernière invitée aux Causeries Nocturnes sur la Musique du Présent.
Le féminisme pourrait être, dans le CV de Roselyne Bachelot, un bon point. Mais en politique, pour ne pas se faire avoir, il faut se méfier de ce que les gens disent et regarder ce qu’ils font.
Roselyne Bachelot a été très souvent ministre. Quand on est ministre, on est solidaire du gouvernement auquel on appartient et des mesures qu’il prend. Son premier ministère, c’était sous Chirac, et c’était celui de l’écologie. C’était pendant la canicule de 2003, une grande crise sanitaire, qui a fait en France plus de 15000 morts en 20 jours. Cette année-là, l’espérance de vie a reculé d’un mois pour les femmes, car ce sont les femmes âgées, plus isolées, qui ont été les plus nombreuses victimes. Ce fut, en France, le premier recul de l’espérance de vie depuis 1945.
Face à cette canicule, le gouvernement a fui ses responsabilités, a osé pointer le manque de solidarité dans la population et a supprimé un jour férié pour en faire une soi-disant journée de solidarité envers les vieux, journée qui, selon les chiffres, en est plutôt une de solidarité envers le patronat.
Ensuite, sous Sarkozy, elle a été ministre de la santé du gouvernement Fillon. Elle a été à l’origine de ce qu’on a appelé la loi Bachelot, la loi « Hôpital, patients, santé et territoires ». Cette loi a été dénoncée par les soignants comme une destruction de l’hôpital public. Elle a fait l’unanimité contre elle et des milliers d’hospitaliers ont manifesté pour son retrait. Avec cette loi, l’hôpital devenait une entreprise comme une autre, ce qui ouvrait la voie à des suppressions de postes et des fermetures de lit, qui ont effectivement eu lieu.
Lors de la première vague, quand les soignants étaient obligés de choisir les malades qu’ils pourraient sauver faute de place en réanimation, situation qui aujourd’hui pourrait se réitérer, on a payé cher cette politique.
Cette loi Bachelot a eu aussi une autre conséquence. Avant la loi, il y avait des centres d’interruption volontaire de grossesses, spécialisés et indépendants. La loi a fait qu’ils ont été démantelés et intégrés aux grands ensembles hospitaliers, avec des économies de personnels à la clef. Les associations féministes ont dénoncé cela comme un recul grave de l’accès à ce droit fondamental. Aujourd’hui, ces centres hospitaliers sont saturés, et pouvoir accéder à une IVG est difficile.

Bachelot a un féminisme de mots, ou de carrière, mais le bilan de sa politique est antiféministe. Les progrès réels de l’égalité des sexes ne se mesurent pas au nombre de femmes ministres, PDG où même cheffes d’orchestre (même si La Crécelle ne manquera pas d’ausculter ce dernier point), mais à la vie quotidienne de toutes les femmes. Comme le disait une camarade : « A quoi ça sert que certaines brisent le plafond de verre si c’est toujours les même qui ramassent les débris… »
Lors de la canicule de 2003, les Guignols de l’info, en réponse à l’attitude débonnaire du gouvernement, en avaient fait une caricature, celle d’une ministre un peu bêtasse et inoffensive. Cette caricature, en plus d’être misogyne, nous induit en erreur. Roselyne Bachelot est une politicienne rusée et aguerrie. On n’était pas nés qu’elle faisait déjà carrière en politique. Elle a participé à de nombreux gouvernements détestés des classes populaires, s’est mise à dos tout le personnel hospitalier.
Elle est habituée à résister aux demandes du bas et à obéir à celles d’en haut. On se trompe si l’on pense qu’on peut exercer une quelconque pression sur elle dans une réunion.
Dans les salons tapissés des ministères, nos voix peinent à se faire entendre ; et elles sont confuses, réverbérées par leurs halls de marbre. Nos mégaphones et nos pancartes sont décidément, si nous sommes nombreux à les brandir, de bien meilleures manières de faire valoir nos revendications.