« Maintenant que j’ai réussi le concours, il faut que je prouve que j’ai ma place ici. » « Si je me plante, je vais décevoir mon prof… » « Il faut absolument que ma première audition se passe bien, ça sera la première fois que les autres élèves de la classe m’entendront ! »
L’année commence, et avec elle vient une familière pression, celle que l’on ressent lorsque l’on entre dans ce conservatoire et qui se prolonge parfois durant de nombreuses années. Pression issue de la tradition élitiste des conservatoires français, qui nous a accompagnée lors de l’année ou des années précédentes, pendant lesquelles nous nous préparions aux concours d’entrée. Semblables aux années prépa de nos collègues aux parcours non-musicaux, ces années « tremplin » peuvent être fortes de nombreux progrès instrumentaux, mais également dangereuses tant elles formatent nos esprits à une dichotomie entre la réussite et l’échec.
Alors comment, en entrant dans le cycle d’études supérieures, se défaire de cette dualité et accepter que tout ce qui n’est pas une réussite, n’est pas nécessairement un échec ? Qui est là pour nous dire que, malgré tout ce que nous avons fait avant l’entrée, nous ne sommes qu’en première année de nos études, et que nous avons encore le droit à l’erreur ? Et qui nous rappelle que le conservatoire n’est pas une fin en soi, mais qu’il est un moyen d’accéder à une formation, et que nous ne nous définissons pas par notre appartenance à cette école ?
A l’entrée, le discours venant de l’institution est clair : vous êtes l’élite, vous avez mérité votre place ici. Si ces mots, qui se veulent encourageants, peuvent motiver des élèves, ils peuvent aussi renforcer l’idée selon laquelle, puisque nous étudions dans cet établissement, nous nous devons de ne jamais nous tromper. Et ce discours a également le dangereux pouvoir de conforter certaines personnes dans la croyance que cette école est supérieure aux autres.
S’il est indéniable que l’enseignement reçu ici est d’une grande qualité, nous pouvons nous poser la question de la mission des conservatoires supérieurs. Cette mission ne serait-elle pas de progressivement rendre les élèves autonomes vis-à-vis de leur pratique instrumentale, indépendants dans leur approche de la musique, et de les accompagner dans la construction d’une personnalité artistique propre ?1
Exercé·e·s tout au long de nos études au CNSM (à commencer par le concours d’entrée) à jouer les mêmes œuvres que les autres élèves de notre année, à choisir parmi les mêmes pièces, et travailler les mêmes morceaux imposés pour les examens (pour mieux être comparé.e.s ?), on ne nous incite pas, par exemple, à développer un sens critique face à l’élaboration d’un programme… Nous attendons patiemment (ou non) le « prix », ce court concert qui clôt nos cinq années d’études, pour lequel, enfin, nous sommes libres de tous nos choix artistiques.
N’est-ce pas un peu tard, alors que nous avons déjà un pied hors de l’institution ? Trop tard pour expérimenter ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour nous. Le droit à l’erreur serait peut-être plus évident si les occasions, les essais, étaient multiples. Alors provoquons nous-même ces occasions, me direz-vous ? Oui, mais alors attention, surtout pas sur les heures de cours, parce qu’il ne faut jamais oublier que les cours sont prioritaires sur toute chose qui pourrait avoir lieu en-dehors du conservatoire.
Difficile alors de trouver un bon équilibre entre le début de nos études, où l’on croit ne pas avoir le droit de se tromper, et la fin de celles-ci, où l’on nous souhaite malgré tout d’avoir eu l’occasion d’expérimenter le monde réel, le milieu professionnel dans lequel on comprend peu à peu que ce n’est finalement pas si grave de se tromper de temps en temps, dans lequel nous sommes légitimes d’évoluer, et dans lequel ce qui importe vraiment est bien plus vaste que nos habilités musicales : c’est aussi l’expression de notre indépendance artistique et les rapports humains que nous entretenons avec nos collègues.
A vous, nouveaux arrivants, La Crécelle souhaite un doux mélange d’indulgence envers vous-même et d’envie toujours renouvelée de faire de votre mieux. Non pour prouver que vous méritez votre place ou pour éviter de décevoir vos professeurs ; mais pour vous libérer des comparaisons – qu’elles viennent de l’extérieur ou de l’intérieur- et profiter pleinement de tous les enseignements que vous recevrez ici.
1voir l’article de la Crécelle n°2 ‘Le Conservatoire National Supérieur du Monde’