Geneviève Fraisse sera la première invitée de cette nouvelle saison des Causeries Nocturnes Sur la Musique Du Présent qui s’ouvre le 12 octobre. Rencontre initialement prévue en mars lors d’une semaine consacrée à la domination masculine dans les arts, sa venue s’inscrit dans un temps particulier quant à la question de l’égalité des sexes dans le monde musical. Le rapport sorti récemment sur les établissements de l’enseignement supérieur artistique et culturel (Violences sexistes et sexuelles, par le Groupe Egaé) montre qu’un travail important reste à faire sur ces questions dans notre milieu. Afin de préparer sa venue, voici une courte introduction aux réflexions de notre invitée.
Geneviève Fraisse prend une place singulière dans le paysage de la pensée féministe actuelle. En effet, on entend le plus souvent parler, pour de bonnes ou de mauvaises raisons (des polémiques médiatico-réactionnaires) des études de genre. Ces études s’intéressent à l’analyse de la domination et sont les héritières des sociologies de la domination (Bourdieu) et des philosophes de la « French Theory » (Foucault, Derrida…). Or, Geneviève Fraisse ne s’intéresse pas directement à la domination ou plutôt, elle veut la faire résonner dans ses contradictions avec une pensée de l’émancipation. Sans nier la connaissance des rapports de domination, penser l’émancipation, pour notre invitée, c’est s’intéresser aux moments de déplacements, de renversements de l’ordre sexué du monde, c’est-à-dire aux places assignées en fonction du sexe. L’émancipation est cette temporalité durant laquelle des sujets se reconnaissent comme capable d’autre chose que leur situation de dominé. Ce parti de l’émancipation provient de son expérience des mouvements féministes. Geneviève Fraisse a vingt ans en 1968 et elle participe aux débuts du MLF dans les années qui suivent. Le refus du champ philosophique de cette époque à accueillir l’idée que « le féminisme pense » l’amène à rencontrer Jacques Rancière, penseur de l’émancipation ouvrière et cité parfois dans la Crécelle. Elle fonde avec lui la revue les Révoltes Logiques. Geneviève Fraisse propose une pensée exigeante et engage ses lectrices et ses lecteurs dans l’épistémologie (l’étude des postulats de la connaissance) politique de la pensée féministe. Nous vous proposons un petit tour d’horizon de ce travail conceptuel qui construit une « généalogie démocratique » à partir de la révolution française. Cette généalogie consiste à historiciser le rapport entre exclusion et émancipation des femmes autour des notions de citoyenneté politique et artistique. Son travail sur des figures de femmes artistes, les démarches de créatrices et de nombreuses œuvres permettra de tisser sa pensée avec nos pratiques de musicien.nes et de danseur.euses.
Voici l’ébauche d’une boîte à outils conceptuels pour penser la question féministe.
Sexuation du monde : La sexuation du monde ou de l’histoire est défendue comme un fait, non pas au sens de la différence sexuelle ou d’une différence des sexes, mais comme le fait d’une réalité politique simple : les sexes font l’histoire. Reconnaître ce fait, l’étudier (notamment par le décor planté par les philosophes), c’est donner une place signifiante au sexe et au genre dans les énoncés qui structurent une société. Il s’agit ainsi de faire face à toute velléité d’atemporalité concernant des relations entre les êtres sexués.
Pour toutes/pour chacune : Avec la Révolution française et la question démocratique, l’exception de quelques femmes représentant l’égalité des sexes dans l’ancien régime peut se transformer en loi du chiffre (citoyenneté politique pour toutes) et la reconnaissance de chacune comme sujet, individu, créatrice. Les disputes, les combats s’instaurent autour de l’accès à des droits pour toutes et à la revendication d’une expression singulière, artistique à un génie féminin.
Égalité des sexes : L’égalité des sexes est, contrairement à la manière dont on peut l’entendre, non pas un but à atteindre, mais un point de départ à toute pensée et à toute organisation sociale. Elle est démontrée sans cesse par le travail de l’historicisation de la sexuation du monde et réaffirme sans cesse « l’impertinence de l’affirmation singulière d’une artiste au regard des constructions symboliques » (la séparation de la muse et du génie par exemple).
Le dérèglement des représentations : « Dérégler, c’est s’introduire dans la machine existante pour lui faire exécuter une tâche autrement, ou pour la rendre inutilisable. » Le dérèglement consiste à ébranler la tradition de l’intérieur : la femme modèle devient sculptrice, un stigmate devient processus créateur, une écrivaine revendique la jouissance de l’acte d’écriture. Il s’agit de prendre son droit tout en se confrontant aux disputes symboliques. Cette émancipation est créatrice et l’égalité sur laquelle elle repose permet ainsi de trouver de nouvelles formes esthétiques et intellectuelles.
De nombreux autres concepts réfléchis par Geneviève Fraisse mériteraient une présentation : le consentement, le modèle, le cliché, le stéréotype, le nu, le care, le genre, le privilège… On vous invite donc à venir nombreux le 12 octobre 2020 à 20h pour échanger avec notre invitée !