Vous avez manqué les vœux ? Vous leur avez préféré une gamme, un café, une cigarette dans le patio ? Peut-être n’étiez-vous même pas au courant d’y avoir été invité ? Heureusement, La Crécelle s’y est rendue pour vous et peut vous en faire le récit épicé. Les « vœux » sont un moment politique. Que ce soit dans les usines automobiles, les institutions publiques, les instances de l’État, le protocole est le même. On sort les viennoiseries, les figures de l’autorité montent au pupitre, les administrateurs s’adressent aux administrés. Moment convenu, vertical, il se veut convivial mais est le plus souvent reçu avec circonspection. Il arrive toutefois que cela déraille en période de temps social mouvementé et que les vœux soient bousculés, comme l’ont été cette année ceux de Sibyle Veil, directrice de Radio France, ou même annulés, comme ceux de Franck Riester, ministre de la Culture. Quand ça n’est pas le cas, c’est un moment où l’on peut essayer de lire entre les lignes à quelle sauce on va être mangé durant l’année. Ainsi, nous étions quelques-uns, calepin à la main, à essayer de ne pas en perdre une miette.
Napoléon et la galette
La première personne à prendre le micro n’est pas notre nouvelle directrice Émilie Delorme, mais Sandra Lagumina, présidente du Conseil d’Administration… pour annoncer son départ prochain ! Un discours d’adieu donc, qui nous a plusieurs fois médusé. Cela a commencé avec légèreté, par le partage d’une lassitude gustative anodine envers la galette des rois, au menu du buffet qui attendait les auditeurs. Comprenez, Madame en a marre de la frangipane… Ensuite, ont été louées la longévité et la cohérence de cette grande maison, et saluée son « excellence ». Une excellence qui toutefois doit viser plus haut : le CNSMDP doit aspirer à devenir la première école de musique… du monde ! Est venu ensuite le chapitre sociétal : il est aujourd’hui crucial que le conservatoire s’ancre dans son époque et que nous nous appliquions tous à lutter contre le préjugé selon lequel la musique serait un monde à part. Mais attention. Constatant l’extrême violence du climat social actuel, nous devrions nous résoudre, selon Mme Lagumina, à ne pas laisser les troubles du monde extérieur s’inviter dans les murs de notre institution. Car s’il est nécessaire de « s’inscrire dans son siècle autrement que comme une île », notre société n’en est pas moins parcourue d’« intolérables soubresauts qui n’ont pas vocation à s’exprimer au sein du conservatoire ». Savoureux et hallucinant paradoxe !
S’en suit en vrac un paragraphe sur la nécessité d’opérer la transition numérique, des félicitations à Bruno Mantovani pour son « beau mandat », un mot sur le processus compliqué de changement de direction, et enfin une drôle d’allusion aux cent jours de Napoléon pour émettre le regret qu’au cours de son mandat de présidente, le CNSMDP ne se soit pas encore hissé au rang de première école de musique au monde. C’est visiblement sa grande ambition !
Devenir « les premiers du monde »… Quelle ridicule marotte ! Notre vie de musicien·ne·s n’est-elle pas déjà suffisamment polluée par l’omniprésence de l’esprit de compétition et du jeunisme ? Avons-nous réellement besoin de nous enfermer un peu plus dans le cercle vicieux de la compétition constante ? Qu’il est triste de voir une personne prétendant travailler au service de la musique nous imposer ces principes, qui ne sont rien de plus que ceux de la concurrence économique et du capitalisme. Ils sont bien loin des idéaux artistiques qui nous animent. Car pour notre part, nous n’en avons rien à faire d’être les meilleurs du monde. En revanche, nous aspirons à trouver une incarnation musicale aux soubresauts de la société, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. Ayant pris part au mouvement social au sein du conservatoire nous nous sommes sentis visés par la mention des « intolérables soubresauts ». Nous regrettons encore notre retenue à cet instant, et aurions aimé en faire l’illustration sonore avec crécelles, grelots et sonnailles. La prochaine fois !
Parce que c’est notre projeeeet d’établissement !
Après le goût de cocktail au vinaigre que nous a laissé le discours de Sandra Lagumina, celui d’Émilie Delorme nous a fait l’effet d’une infusion bio. Il avait en effet un caractère bien différent. Étaient évoqués la qualité des équipes, les opportunités de partenariat qu’offre la concentration des acteurs sur le site la Villette, le sentiment partagé d’appartenance au service public, la transition numérique, l’écologie, l’épanouissement, le mouvement #Metoo, l’excellence, les valeurs, la culture, le partage… Contrairement au précédent discours, rien qui paraisse susceptible de nous décrocher la mâchoire. Pourtant, la volonté de continuité s’exprimait à chaque tournant, et celle-ci sonnait sonnait bizarrement à nos oreilles après le discours épouvantable et poussiéreux de notre ex-directrice du Conseil d’Administration ! Il fut d’ailleurs précisé que la seule différence avec l’oratrice précédente concernait l’appétit pour la galette des rois. Une pirouette diplomatique ? Elle nous a en tout cas laissés sur notre faim.
Bien sûr, nous n’étions pas venus là pour étancher notre soif de changement : ceux auxquels nous aspirons ne viendront certainement pas d’en haut !
Nous avons aussi appris lors de ces vœux qu’un « projet d’établissement » serait réalisé pendant le mandat d’Émilie Delorme. Il s’agit, dans les grandes lignes, de définir les principaux objectifs du conservatoire ainsi que les manières d’y parvenir. Ce document, obligatoire dans tous les établissements publics, n’a encore jamais vu le jour au CNSMDP. Peut-être que les élèves, par le biais de leurs représentants au CA, seront consultés, et nous ne bouderons pas ces élections. Mais nous plaçons davantage nos espoirs de changements dans le mouvement social, qui depuis quelques années remue régulièrement la société bourgeoise, jusque dans sa petite citadelle isolée qu’est le CNSMDP.
La Crécelle 